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Théâtre - Création - Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce

" Ils sont connus de la plupart des hommes et presque toutes les mères les ont vus.
Ils sont peut-être indispensables comme toutes les douleurs, et ceux qui ne les ont pas approchés sont moins doux, moins tristes et moins bons.

Ils sont étranges. Ils semblent plus près de la vie que les autres enfants et ne rien soupçonner, et cependant leurs yeux ont la certitude si profonde, qu'il faut qu'ils sachent tout et qu'ils aient eu plus d'un soir le temps de se dire leur secret. Au moment où leurs frères tâtonnent encore autour d'eux entre la naissance et la vie, ils se sont déjà reconnus, ils sont déjà debout, les mains et l'âme prêtes. A la hâte, sagement et minutieusement, ils se préparent à vivre, et cette hâte est le signe que les mères, à leur insu discrète confidentes de tout ce qui ne se dit pas, osent à peine regarder.

Souvent nous n'avons pas le temps de les apercevoir; ils s'en vont sans rien dire et ceux-là nous demeurent à jamais inconnus. Mais d'autres s'attardent un peu, nous regardent en souriant attentivement, semblent sur le point d'avouer qu'ils ont tout compris, et puis, vers la vingtième année, s'éloignent à la hâte, en étouffant leur pas, comme s'ils venaient de découvrir qu'ils s'étaient trompés de demeure et qu'ils allaient passer leur vie parmi des hommes qu'ils ne connaissent pas.

Eux-mêmes ne disent presque rien et s'entourent d'un nuage au moment où ils se sentent blessés et où l'homme est sur le point de les atteindre. Il y a quelque jours, ils semblaient être au milieu de nous, et ce soir, tout à coup, ils sont si loin que nous n'osons plus les reconnaître ni les interroger. Ils sont là, presque de l'autre côté de la vie, et l'on sent que c'est l'heure enfin d'affirmer une chose plus grave, plus humaine, plus réelle et plus profonde que l'amitié, la pitié ou l'amour ; une chose qui bat mortellement de l'aile tout au fond de la gorge, et qu'on ignore, et qu'on a jamais dite, et qui n'est plus possible de dire, car tant de vies se passent à se taire !… Et le temps presse ; et qui de nous n'a attendu ainsi jusqu'au moment où l'on ne pouvait plus lui répondre ?

Pourquoi sont-ils venus et pourquoi s'en vont-ils ? Ne naissent-ils que pour nous affirmer que la vie n'a pas de but ? A quoi sert-il d'interroger puisqu'on ne répondra jamais ?
J'ai été plusieurs fois témoin de ces choses, et un jour je les ai vues de si près que je ne savais plus s'il s'agissait d'un autre ou de moi-même… "


Maurice Maeterlinck
Extrait de " Le trésor des humbles "

 
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